قال الله تعالى

 {  إِنَّ اللَّــهَ لا يُغَيِّــرُ مَـا بِقَــوْمٍ حَتَّــى يُـغَيِّـــرُوا مَــا بِــأَنْــفُسِــــهِـمْ  }

سورة  الرعد  .  الآيـة   :   11

ahlaa

" ليست المشكلة أن نعلم المسلم عقيدة هو يملكها، و إنما المهم أن نرد إلي هذه العقيدة فاعليتها و قوتها الإيجابية و تأثيرها الإجتماعي و في كلمة واحدة : إن مشكلتنا ليست في أن نبرهن للمسلم علي وجود الله بقدر ما هي في أن نشعره بوجوده و نملأ به نفسه، بإعتباره مصدرا للطاقة. "
-  المفكر الجزائري المسلم الراحل الأستاذ مالك بن نبي رحمه الله  -

image-home

لنكتب أحرفا من النور،quot لنستخرج كنوزا من المعرفة و الإبداع و العلم و الأفكار

الأديبــــة عفــــاف عنيبـــة

السيـــرة الذاتيـــةالسيـــرة الذاتيـــة

أخبـــار ونشـــاطـــاتأخبـــار ونشـــاطـــات 

اصــــدارات الكـــــاتبــةاصــــدارات الكـــــاتبــة

تـــواصـــل معنــــــاتـــواصـــل معنــــــا


تابعنا على شبـكات التواصـل الاجتماعيـة

 twitterlinkedinflickrfacebook   googleplus  


إبحـث في الموقـع ...

  1. أحدث التعليــقات
  2. الأكثــر تعليقا

ألبــــوم الصــــور

e12988e3c24d1d14f82d448fcde4aff2 

مواقــع مفيـــدة

rasoulallahbinbadisassalacerhso  wefaqdev iktab
الأحد, 22 آذار/مارس 2020 19:26

Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets

كتبه  par André Gorz
قيم الموضوع
(0 أصوات)

Travail précaire, sociétés duales, chômage chronique dans nombre de pays d’Occident et en rapide augmentation dans ceux de l’Est, incertitudes accrues pour l’avenir dans le tiers-monde soumis à la loi d’airain de l’ajustement structurel… Mutations et régressions s’additionnent sans que la pensée politique, faute de les comprendre, prenne à bras-le-corps ces phénomènes. Allons-nous continuer à produire des serviteurs, alors qu’il faudrait transformer le temps en liberté pour tous ?

 

Depuis le début de l’ère moderne, une question n’a cessé de se poser à l’Occident : dans quelle mesure la rationalité économique est-elle compatible avec ce minimum de cohésion sociale dont une société a besoin pour survivre ? Cette question se pose aujourd’hui sous des aspects nouveaux, avec une actualité et une acuité accrues. Le contraste est en effet saisissant entre la réalité et le discours lénifiant de l’idéologie dominante.

Dans l’ensemble des pays capitalistes d’Europe, on produit trois à quatre fois plus de richesses qu’il y a trente-cinq ans ; cette production n’exige pas trois fois plus d’heures de travail, mais une quantité de travail beaucoup plus faible.

En RFA, le volume annuel du travail a diminué de 30 % depuis 1955. En France, il a baissé de 15 % en trente ans, de 10 % en six ans. Les conséquences de ces gains de productivité sont ainsi résumées par M. Jacques Delors : en 1946, un salarié âgé de vingt ans devait s’attendre à passer au travail un tiers de sa vie éveillée ; en 1975, un quart seulement ; aujourd’hui, moins d’un cinquième. Et encore ce dernier chiffre n’intègre-t-il pas les gains de productivité à venir et ne prend-il en considération que les salariés employés à plein temps, toute l’année durant. Toujours selon M. Delors, les Français âgés aujourd’hui de plus de quinze ans passeront moins de temps au travail qu’ils n’en passent à regarder la télévision.

Ces chiffres, notre civilisation, notre presse, nos représentants politiques préfèrent ne pas les regarder en face. Ils se refusent à voir que nous ne vivons plus dans une société de producteurs, dans une civilisation du travail. Le travail n’est plus le principal ciment social, ni le principal facteur de socialisation, ni l’occupation principale de chacun, ni la principale source de richesse et de bien-être, ni le sens et le centre de nos vies. Nous sortons de la civilisation du travail, mais nous en sortons à reculons, et nous entrons à reculons dans une civilisation du temps libéré, incapables de la voir et de la vouloir, incapables donc de civiliser le temps libéré qui nous échoit, et de fonder une culture du temps disponible et une culture des activités choisies pour relayer et compléter les cultures techniciennes et professionnelles qui dominent la scène. Nos discours demeurent dominés par le souci de l’efficience, du rendement, de la performance maximale, donc par le souci d’obtenir le plus grand résultat possible avec le minimum de travail et dans le minimum de temps. Et nous semblons décidés à ignorer que nos efforts d’efficacité, de rationalisation ont pour conséquence principale ce résultat — que la rationalité économique ne sait ni évaluer ni charger de sens — de nous libérer du travail, de libérer notre temps, de nous libérer du règne de la rationalité économique elle-même.

Cette incapacité de nos sociétés à fonder une civilisation du temps libéré entraîne une distribution absurde et scandaleusement injuste du travail, du temps disponible et des richesses. Notre attention se fixe d’abord sur les nouvelles carrières qu’ouvre la révolution microélectronique et sur les transformations fondamentales qui en découlent dans la nature du travail industriel et, surtout, dans la condition des travailleurs. On nous dit que les tâches répétitives et de pure exécution tendent à disparaître de l’industrie ; que ce travail tend à devenir prenant, responsable, auto-organisé, diversifié, exigeant des individus autonomes, capables d’initiative, capables de communiquer, d’apprendre, de maîtriser une diversité de disciplines intellectuelles et manuelles. Un nouvel artisanat, nous dit-on, est en train de prendre la relève de l’ancienne classe ouvrière et de réaliser ce vieux rêve : les producteurs détiennent le pouvoir sur les lieux de production et y organisent souverainement leur travail.

Et qui s’interroge sur la proportion des salariés accédant à cette nouvelle condition s’entend répondre non sans irritation, tant la question est incongrue : pour le moment, il s’agit de 5 % à 10 % seulement des travailleurs de l’industrie ; mais, demain, ils seront plus de 25 %, voire 40 % à 50 % dans la métallurgie. Le travail pourra redevenir passionnant au point de se confondre, comme chez les artistes, avec la vie elle-même.

Il vous faut avoir mauvais esprit pour tenter d’en savoir plus et poser quelques autres questions : que deviennent les 50 % ou 60 % de travailleurs de la métallurgie qui n’accéderont pas à la condition enviable qui vient d’être décrite ? Que deviendront les 75 % de salariés de l’ensemble des industries qui ne pourront accéder à cette condition ? Et surtout : ces changements ne s’accompagnent-ils pas de gains de productivité très rapides — de + 10 % par an dans l’industrie automobile, par exemple ; de 100 % en cinq ans dans l’industrie de la machine-outil ?

Quand Thomson a modernisé sa fabrique de réfrigérateurs, la rendant compétitive et assurant à toutes ses ouvrières et à tous ses ouvriers l’accès à des qualifications professionnelles de plus en plus élevées, cette transformation tant célébrée ne s’est-elle pas accompagnée d’une réduction de dix-neuf mille à neuf mille des effectifs des travailleurs ? La proportion de la population active occupée dans l’industrie n’est-elle pas tombée d’environ 40 % il y a vingt ans à environ 30 % actuellement et ne prévoit-on pas qu’elle représentera moins de 20 % dans une dizaine d’années ? Que devient donc cette main-d’œuvre que l’industrie… « libère », si l’on ose dire, pour ne conserver que ces précieux professionnels polyvalents auxquels, pour se les attacher, elle offre un traitement et un statut privilégiés ?

Nous connaissons la réponse à ces questions : pour près de la moitié de la population active, l’idéologie du travail est devenue une mauvaise farce ; l’identification au travail est désormais impossible, car le système économique n’a pas besoin ou n’a pas un besoin régulier de leur capacité de travail. La réalité que nous masque l’exaltation de la « ressource humaine », c’est que l’emploi stable, à plein temps, durant toute l’année et toute la vie active, devient le privilège d’une minorité. Pour près de la moitié de la population active, le travail cesse d’être un métier qui intègre dans une communauté productive et définit une place dans la société. Ce que le patronat appelle « flexibilité » se traduit pour les salariés par la précarité.

La situation en France n’a rien d’exceptionnel à cet égard. En RFA, les embauches sont pour moitié à temps partiel ou à titre précaire ; un tiers des actifs occupent des emplois temporaires ou à temps partiel, avec un salaire partiel. Et si les statistiques indiquent une baisse du nombre des chômeurs, il ne faut pas toujours conclure que l’économie a de nouveau besoin d’un plus grand volume de travail. Pour réduire le taux de chômage, on peut aussi augmenter la proportion des emplois à temps et à salaire partiels, au détriment des emplois à plein temps. C’est ce qui s’est produit en France, en RFA et surtout aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Dans ces deux derniers pays, les chômeurs et les personnes employées à titre précaire et à temps partiel représentent ensemble plus de 45 % de la population active. Au Royaume-Uni, 50 % des femmes et 25 % des hommes, soit 36 % de la main-d’œuvre au travail, occupent des emplois hors normes. 90 % des emplois créés en cinq ans y sont des emplois précaires et/ou à temps partiel. Aux Etats-Unis, 60 % des emplois créés au cours des années 80 sont payés à des salaires inférieurs au seuil de pauvreté ; le revenu type de la famille américaine où l’homme a moins de vingt-cinq ans est aujourd’hui inférieur de 43 % à ce qu’il était en 1973.

« La rage de gagner », ce slogan répugnant

Ainsi, de 35 % à 50 % de la population active britannique, française, allemande ou américaine vivent en marge de notre prétendue civilisation du travail, de son échelle des valeurs et de son éthique du rendement et du mérite. Le système social se scinde en deux, donne naissance à ce qu’on appelle couramment une « société duale ». La conséquence en est une très rapide désintégration du tissu social. En haut de l’échelle se livre une compétition effrénée pour décrocher un des rares emplois à la fois stables et ouverts sur une carrière ascendante. C’est ce qu’un slogan publicitaire répugnant vante comme « la rage de gagner », étant entendu qu’il doit y avoir, pour chaque gagnant, une foule de perdants et que les vainqueurs ne doivent rien à ceux et à celles qu’ils écrasent. La société est présentée sur le modèle des sports de combat, avec vocabulaire militaire et images guerrières. Celles et ceux qui ne sont ni gagnants ni gagneurs se trouvent rejetés vers les marges d’une société dont ils n’ont rien à attendre. Sa violence suscite des contre-violences, des désaffections, des nostalgies agressivement régressives ou réactionnaires.

Cette désintégration renvoie à un problème de fond : que doit être une société dans laquelle le travail à plein temps de tous les citoyens n’est plus nécessaire, ni économiquement utile ? Quelles priorités autres qu’économiques doit-elle se donner ? Comment doit-elle s’y prendre pour que les gains de productivité, les économies de temps de travail profitent à tout le monde ? Comment peut-elle redistribuer au mieux tout le travail socialement utile de manière que tout le monde puisse travailler, mais travailler moins et mieux, tout en recevant sa part des richesses socialement produites ?

La tendance dominante est d’écarter ce genre de questions et de poser le problème à l’envers : comment faire pour que, malgré les gains de productivité, l’économie consomme autant de travail que par le passé ? Comment faire pour que de nouvelles activités rémunérées viennent occuper ce temps que, à l’échelle de la société, les gains de productivité libèrent ? A quels nouveaux domaines d’activité peut-on étendre les échanges marchands pour remplacer tant bien que mal les emplois supprimés par ailleurs dans l’industrie et les services industrialisés ?

On connaît la réponse, une réponse pour laquelle les Etats-Unis et le Japon ont montré la voie : le seul domaine dans lequel il est possible en économie libérale, de créer à l’avenir un grand nombre d’emplois, c’est celui des services aux personnes. Le développement de l’emploi pourrait être illimité si l’on parvenait à transformer en prestations de services rétribués les activités que les gens ont, jusqu’à présent, assumées chacun pour soi. Les économistes parlent à ce sujet de « nouvelle croissance plus riche en emplois », de « tertiarisation » de l’économie, de « société de services » prenant le relais de la « société industrielle ».

Mais cette façon de vouloir sauver la société salariale pose des problèmes et présente des contradictions qui mériteraient d’être placés au centre du débat public et de la réflexion politique. En effet, quel est le contenu et le sens de la majorité des activités dont la transformation en services professionnalisés et monétarisés est actuellement évoquée ? Il est facile de montrer que leur professionnalisation ne répond plus à la même logique que le développement économique passé. Dans le passé, en effet, la croissance avait pour moteur fondamental ce qu’on appelle la « substitution productive » : des tâches que les gens, depuis des siècles, assumaient eux-mêmes, dans la sphère domestique, étaient progressivement transférées à l’industrie, et à des industries de services, dotées de machines plus performantes que celles dont pouvait disposer un ménage. La production industrielle et les services industrialisés ont ainsi remplacé l’autoproduction domestique et la prise en charge des individus par eux-mêmes. Plus personne ne file sa laine, ne tisse son drap, ne coud ses vêtements, ne cuit son pain, etc., car toutes ces tâches sont réalisées plus vite, et souvent mieux, par des industries employant des salariés. Et parce que l’industrialisation permet de produire plus vite et souvent mieux avec moins de travail, chacun peut finalement, avec le salaire d’une heure de son travail, acheter beaucoup plus de biens et de services qu’il ne serait capable d’en produire par et pour lui-même en l’espace d’une heure. L’industrialisation a économisé du temps de travail à tout le monde, et ce temps de travail a été réemployé en grande partie dans l’économie pour produire des richesses supplémentaires que seule l’industrialisation permet de concevoir et de créer.

Mais les nouveaux emplois créés dans les services personnels répondent-ils encore au modèle de la substitution productive ? Assurent-ils de façon plus efficace, c’est-à-dire mieux et plus vite, les services que les gens, jusqu’à présent, se rendaient à eux-mêmes ? L’examen de la grande majorité des emplois créés aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années montre qu’il n’en est rien. Leur fonction, dans la majorité des cas, est plutôt la suivante : les deux, ou trois, ou quatre heures passées jusqu’alors à tondre le gazon, à promener le chien, à faire les courses et le ménage, à acheter le journal ou à s’occuper des enfants, ces heures sont transférées, contre paiement, sur un prestataire de services. Il ne fait rien que chacun ne puisse faire lui-même aussi bien. Simplement, il libère deux ou quatre heures de temps en permettant d’acheter deux ou quatre heures de son temps à lui. Les économistes appellent ce genre de transfert « substitution équivalente », et Adam Smith insistait déjà sur le fait qu’elle est économiquement « improductive ». Acheter le temps de quelqu’un pour augmenter ses propres loisirs ou son confort, ce n’est rien d’autre, en effet, que d’acheter du travail de serviteur. La majorité des emplois créés aux Etats-Unis, mais aussi une forte proportion de ceux qui, au Japon, expliquent les faibles taux de chômage, sont des emplois de serviteur. Mais qui a intérêt, qui a les moyens de s’offrir les prestations des nouveaux serviteurs ? Voilà bien la question gênante que ne posent pas ceux et celles — y compris les syndicalistes — pour lesquels la création d’emplois est une fin en soi.

Grâce à la paupérisation d’une masse croissante de gens

Supposons un instant que les nouveaux serviteurs soient logés à la même enseigne que leurs maîtres, que, pour une heure de leur travail, il faille les payer autant que l’employeur gagne. D’un point de vue économique, il serait alors rationnel de travailler soi-même une heure de moins et d’assumer ses propres tâches domestiques, soit individuellement, soit dans le cadre d’une coopérative d’échange de services entre voisins. Peut-être, rétorquera-t-on, l’aspect économique n’est-il pas seul déterminant : même si une heure de travail de serviteur coûte autant que ce que l’employeur gagne en une heure, ce dernier peut être prêt à payer ce prix pour se débarrasser de toutes sortes de corvées. Mais s’il en est ainsi, il revendique le privilège de se décharger de ses corvées ; il affirme implicitement qu’il doit y avoir des gens tout juste bons pour faire ce qui ennuie ou répugne, des gens dont le métier est de servir. Des inférieurs, en somme. Mais pourquoi ? Dans quelles conditions sociales des personnes sont-elles prêtes à assumer les corvées des autres, à titre professionnel, pour ainsi dire, en plus de leurs corvées propres ? Et d’où vient le pouvoir d’achat additionnel qui permet d’acheter des quantités croissantes de services personnels à une foule croissante de prestataires de services ?

La plupart des économistes, et même certains syndicalistes, donnent la réponse suivante : l’automatisation fait baisser les prix relatifs de quantité de produits. Cette baisse des prix fait augmenter le pouvoir d’achat et permet aux gens de se payer des « services de proximité ». Raisonnement impeccable, mais qui passe à côté d’un aspect essentiel : d’où vient la baisse des prix relatifs dus à l’automatisation ? Réponse : elle vient du fait que les entreprises automatisées ont réduit le « coût salarial », le volume des salaires qu’elles distribuent. Elles ont diminué le « coût salarial » en comprimant leurs effectifs. Et seuls disposent donc d’un pouvoir d’achat additionnel ceux qui conservent un emploi permanent, souvent mieux qualifié, relativement bien payé. Eux seuls, donc, peuvent se payer les nouveaux services marchands dans lesquels des millions de salariés sont censés devoir trouver des emplois.

Voilà qui donne sa véritable signification au développement des services personnels. Ils se développent, sont susceptibles de créer un si grand nombre d’emplois parce que, dans la majorité des cas, ceux et celles qui assument une heure de tâches domestiques gagnent beaucoup moins que ce que leurs employeurs gagnent en une heure de travail. Les services personnels se développent grâce à la paupérisation d’une masse croissante de gens, phénomène constaté tant en Amérique du Nord qu’en Europe occidentale, ainsi que l’ont montré les études de l’IRES et du CERC. L’inégalité sociale et économique entre ceux qui rendent les services personnels et ceux qui les achètent est devenue le moteur du développement de l’emploi, qui est fondé sur une dualisation accentuée de la société, sur une sorte de « sud-africanisation », comme si le modèle colonial prenait pied au cœur même des métropoles.

Nous voyons ainsi se reconstituer à l’ère postindustrielle des conditions qui prévalaient il y a cent cinquante ans, aux débuts de l’ère industrielle, à une époque où le niveau de consommation était dix fois plus faible, où n’existaient encore ni le suffrage universel ni la scolarisation obligatoire. A cette époque-là aussi, alors que l’économie de marché se libérait de toute entrave, un sixième de la population en était réduite à s’embaucher comme serviteurs et gens de maison chez les riches, et un quart subsistait tant bien que mal grâce à des petits boulots. Mais il s’agissait alors de ruraux illettrés et d’artisans ruinés. Ni la république ni la démocratie n’existaient encore dans les faits, pas plus que le droit à l’éducation et à l’égalité des chances.

Aujourd’hui, en revanche, nous vivons ce paradoxe explosif : nos gouvernements veulent, d’une part, que 80 % des jeunes passent le baccalauréat ; et, d’autre part, en vertu de l’idéologie de l’emploi pour l’emploi, que se développe une énorme sous-classe de serviteurs pour agrémenter la vie et les loisirs des couches solvables. Que font-ils d’autre, en effet, lorsqu’ils réduisent les impôts sur les revenus supérieurs sous prétexte que l’exonération des riches créera des emplois, tandis que les transferts fiscaux en faveur des plus pauvres n’en créent guère ? Les pauvres, en effet, si augmentent leurs ressources, consommeront seulement davantage de produits et de services courants, industrialisés, dont le contenu en travail est faible. Augmenter le revenu disponible des riches, en revanche, cela fera augmenter la consommation de produits de luxe et, surtout, de services personnels dont le contenu en travail est élevé, mais dont la rationalité économique à l’échelle de la société est faible ou carrément nulle.

Autrement dit, la création d’emplois dépend principalement, désormais, non pas de l’activité économique, mais de l’activité anti-économique ; non pas de la substitution productive du travail salarié au travail d’autoproduction privée, mais de sa substitution contre-productive. La création d’emplois n’a plus pour fonction d’économiser du temps de travail à l’échelle de la société, mais de gaspiller du temps de travail pour le plus grand agrément d’une minorités de nantis. Le but n’est plus de réduire la quantité de travail par unité de produit ou de service en maximisant la productivité ; il est de réduire la productivité et de maximiser la quantité de travail par le développement d’un tertiaire sans utilité sociale.

Certes, d’immenses besoins restent insatisfaits, et une autre distribution des ressources permettrait de créer des millions d’emplois dans les services non marchands, par exemple dans le domaine de l’aide maternelle, de la puériculture, de l’assistance aux personnes âgées, des soins à domicile, mais aussi des loisirs, du tourisme, de la culture, de l’éducation… Tout cela est possible, en effet, à condition qu ’il s’agisse de services non marchands, c’est-à-dire de services pour lesquels les besoins n’ont pas à être solvables ni les prestations rentables. Des services, donc, qui ne répondent pas à une logique et à une rationalité économiques et qui, financés par prélèvements fiscaux, restreignent la sphère de l’économie marchande au lieu de la faire croître.

Mais on bute alors sur la question déjà posée plus haut : dans quelle mesure, dans quelles limites est-il bon de substituer des services professionnels rémunérés à des activités que chacun d’entre nous pourrait aussi bien assumer lui-même ? Autrement dit, dans quelle mesure les besoins auxquels ces services répondent ne résultent-ils pas de l’actuel manque de temps ? Dans quelle mesure une politique de redistribution du travail — de tout le travail, y compris du travail domestique — ne réduirait-elle pas, avec la durée du travail, le besoin de recourir à des services marchands ou non marchands ? La semaine de trente heures en cinq jours pour tout le monde, puis la semaine de vingt-huit ou de vingt-quatre heures, avec partage équitable des tâches domestiques entre l’homme et la femme, cette semaine de trente ou de vingt-quatre heures ne permettrait-elle pas l’auto-organisation de réseaux d’échanges de services dans les quartiers, immeubles et communes, l’auto-organisation de groupements d’entraide mutuelle fondés non pas sur le paiement en argent mais sur l’échange de temps ?

A force de monétariser, de professionnaliser, de transformer en emplois les rares activités d’autoproduction et de services que nous assumons encore nous-mêmes, ne réduit-on pas, jusqu’à l’anéantir, l’espace où chaque personne se prend en charge, la capacité à se prendre en charge, sapant ainsi les fondements de l’autonomie existentielle, mais aussi les fondements de la socialité vécue et du tissu relationnel ?

Enfin et surtout : si, comme c’est la tendance aujourd’hui, la création d’emplois est posée comme but principal par la classe dirigeante, où s’arrêtera la transformation de toutes les activités en activités rétribuées, ayant leur rémunération pour raison et le rendement maximum pour but ? Combien de temps pourront résister les bien fragiles barrages qui empêchent encore la professionnalisation de la maternité et de la paternité, la procréation commerciale d’embryons, la vente d’enfants, le commerce d’organes ? Ne sommes-nous pas déjà en train de monétariser, de professionnaliser, de vendre non plus seulement des choses et des services que nous produisons, mais cela même que nous sommes sans pouvoir ni le produire à volonté, ni le détacher de nous-mêmes ? Ne sommes-nous pas déjà en train de nous transformer nous-mêmes en marchandise et de traiter la vie comme un moyen parmi d’autres, et non comme la fin suprême que tous les moyens doivent servir ?

Le problème de fond auquel nous sommes confrontés est celui d’un au-delà de l’économie et, ce qui revient au même, d’un au-delà du travail rémunéré. La rationalisation économique libère du temps, elle continuera d’en libérer, et il n’est plus possible, par conséquent, de faire dépendre le revenu des citoyens de la quantité de travail dont l’économie a besoin. Il n’est plus possible, non plus, de continuer à faire du travail rémunéré la source principale de l’identité et du sens de la vie pour chacun.

La tâche d’une gauche, si gauche il doit y avoir, consiste à transformer cette libération du temps en une liberté nouvelle et en des droits nouveaux : le droit de chacun et de chacune de gagner sa vie en travaillant, mais en travaillant de moins en moins, de mieux en mieux, tout en recevant sa pleine part de la richesse socialement produite. Le droit, d’autre part, de travailler de façon discontinue, intermittente, sans perdre durant les intermittences de l’emploi le plein revenu — de manière à ouvrir de nouveaux espaces aux activités sans but économique et à reconnaître à ces activités qui n’ont pas la rémunération pour but une dignité et une valeur éminentes, tant pour les individus que pour la société elle-même.

Lien : https://www.monde-diplomatique.fr/1990/06/GORZ/42679

قراءة 1402 مرات آخر تعديل على الجمعة, 27 آذار/مارس 2020 08:36

أضف تعليق


كود امني
تحديث