Sitôt installé dans un fauteuil, il défit le ruban papier, retira une feuille et une autre enveloppe cacheté. Avide, Kent lut l’écriture de Sofia Koslic :

                                                                          Cher Monsieur Kent

Pour le reste des formalités, je suis capable de les mener seule. La lettre ci-jointe est celle de madame Paolina Kent. Elle m’a fait promettre de vous la remettre si le destin venait à vous mettre sur mon chemin. C’est ce que je viens de faire. Demain sera une nouvelle journée, le peu que j’ai deviné du caractère de votre épouse m’a dévoilé un trait latin auquel on prête peu d’attention, l’amour d’une Italienne est vif, d’un abandon total. L’ultime exigence de madame Kent met en valeur son attachement sans faille à vous, vous deux vous vous deviez des explications. Il me semble qu’elle y a pensé plus que vous. Vous et moi on a appris avec résignation que la vie parfois nous enlève l’opportunité d’être là au moment voulu. Paolina est morte ; Izet et mes parents sont morts ; la mort nous apprend la lucidité de ceux qui sur le seuil de la vie ont un regard attentif vers l’autre monde. Chacun de nous partira et devra reprendre son rôle jusqu’a son achèvement. Lisez maître Kent la lettre de Paolina et ayez à l’esprit ceci : la vie est une source qui coule, du bien dont on se nourrit à chaque réveil !

Avec toute ma gratitude.

                                                 Sofia Koslic.

La main tremblante, il décacheta la lettre, il eut un sanglot à la vue de l’encre bleu pâli de Paolina Kent :

                                         Richard, éternellement mien.

Il n’y a pas longtemps, j’ai vue la mort en face. Ce matin très tôt à mon lever, j’ai pensé t’écrire, te cacher ces lignes, et les confier à la garde d’une merveilleuse dame. Qui sait, dans l’avenir, peu-être que tu auras besoin de me lire ?!

Peut-être que dans ce futur neuf tu voudras évoquer ce qui nous a séparé à des tournants de notre parcours. Tenté par le triomphe de la justice, tu oublies que ce triomphe n’a pas pour unique apanage la consécration du labeur humain, la victoire a d’autres attributs, on a été élevé dans l’esprit de cette maxime « Ne remettez pas les tâches d’aujourd’hui à demain ». Moi j’agis trop spontanément, toi tu contrôles tes pulsions, tes envies ont un rythme réglé par toi, moi je me remet souvent à Dieu. Avant de te connaître, je croyais comme toute jeune fille innocente qu’au moment voulu Dieu m’enverrait l’homme de ma vie, il serait ma terre et mon ciel, c’était mon rêve. Dieu me l’a exaucé, je me devais d’être reconnaissante, ne sont récompensés que ses bonnes créatures. En m’abandonnant à la volonté du Seigneur, je faisais ce qu’a fait la Sainte Vierge Marie à l’apparition du Saint Esprit, rarement tu vas à l’église retrouver Dieu, prier. Tu le fais en entamant une procédure légale en faveur d’une personne innocente, te fiant à ton sens de l’équité. Tu te présentes devant toute bataille immuablement intègre. Richard, en rentrant à Boston, je me mettrais à l’épreuve, je le suis déjà, durant tous ces mois je me suis interdite d’entendre ta voix, tu n’es pas le genre qui accourt à la moindre alerte. En pensant à m’éloigner, je devais décider de l’impérieuse raison de tout revoir, de m’assurer effectivement que je suis toujours sur ta trajectoire, de me prouver que j’existe aussi à travers toi, je ne sais si tu le comprendras, je n’ai aucune idée de ta réaction mais si je venais à choisir la séparation, Richard, tu dois être sûr d’un fait, je ne cesserai jamais de t’aimer ! Seulement, cet éloignement forcé et légal nous poussera l’un et l’autre à aller au fond des choses et certainement qu’on se retrouvera quoique l’absence sera dure à surmonter. Dieu nous éprouve dans la joie et l’affliction, nous devrions être forts car chacun de nous est concerné à jamais par le sens de ce merveilleux pacte, le mariage.

Au revoir dans ce bientôt qui ne nous appartient pas encore.

                                                                             Tienne  Paolina Kent.

Repliant la lettre, il demeura longtemps songeur les yeux secs. Se levant, il écarta les rideaux de la grande fenêtre. Au-delà, un soleil austère éclairait ciel et colline. Décrochant le récepteur du téléphone, il dit :

- Monsieur Sacci reservez-moi pour ce soir une place vers Rome s’il vous plaît.

- Bien.

- Et maintenant je vous prierai de me passer ce n° à Rome.

- Dans un instant monsieur, fit Umberto, Gabriella survint tout à coup :

- Regardez ce que m’a offert le neveu de madame Koslic.

Sacci sourit, elle avait entre les mains un manuel des bonnes manières !

FIN