7-Le président et la vie quotidienne 

A El Mouradia, le Président habitait avec sa famille à une trentaine de mètres de son bureau. Confiné dans un espace restreint, limité au minimum dans sa marche quotidienne, il demande après deux semaines, à changer de demeure. On lui propose la résidence d'Etat de Zéralda qu'il visite aussitôt. Il en revient séance tenante. Elle est à son goût, exagérément luxueuse. Etait-il necessaire d'y investir autant d'argent ? Il y trouve des tables de bridge, des tables de jeux, des tables de télévision, mais pas de table de travail. Pour son repos hebdomadaire, un simple chalet à Chréa lui suffirait, pense t-il.

Réservé par nature-est-ce la qualité de tous ceux qui ont vécu longtemps dans la clandestinité ?- Il méprisait l'ostentation, surtout ces nouveaux tartuffe qui se cognent le front au sol pour exhiber la tache bleu-sombre, signe visible de leur piété et de leurs prières surérogatoires. Pour sa part, alors qu'il respectait ses obligations religieuses, il les accomplissait dans la plus grande discrétion.

Si l'appel du muezzin intervenait alors que nous étions en réunion de travail, il ne l'a jamais interrompue, préférant joindre sa prière à la suivante comme il est permis par le rituel.

Lors d'une conférence de presse à la Présidence, le correspondant d'un journal espagnol parlant difficilement le français ne parvient pas à préciser sa question. Le président lui dit alors de s'exprimer en espagnol. Ce que fait notre homme qui poursuit plus à l'aise. Sans protocole, Boudiaf lui répond dans la langue de Cervantès. "Etes-vous satisfait ?" ajoute Boudiaf. "Si senor, gracias." répond le journaliste.

Le correspondant du Monde s'exprime en français, Boudiaf lui répond de même. L'envoyé spécial d'un journal du Moyen-Orient s'inquiète de la position de l'Algérie dans l'affaire d'Irak. On sait qu'a l'époque l'intervention de l'irak au Koweït divisait les musulmans. Sans désemparer, Boudiaf rétorque en arabe :"Cette affaire n'est ni dans l'intérêt de l'Irak ni dans celui des Arabes. Passons à une autre question". Il n'a d'ailleurs jamais nourri de complexe sur la façon de s'exprimer pour se faire entendre par le petit peuple. Après son deuxième discours à la Nation, une grand-mère disait à son petit-fils :"Voilà enfin un Président que je comprends". Il a fallu attendre trente ans pour que le petit peuple comprenne son Président. L'on se rappelle comment lors d'un discours aux cadres, il a buté sur le terme "statistiques". La salle lui souffle : ihsa'iyate. Oui merci, dit-il. Il reprend le mot ihsa'iyate, et poursuit comme si de rien n'était.

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Précis et ponctuel dans son travail, le Président Boudiaf savait montrer poliment sa fermeté sans y paraître. Au cours d'une réunion du Hce, le général Khaled Nezzar propose de recevoir une personalité politique importante. Connaissant cette personne, Boudiaf estime sa visite inopportune. Au bout d'un moment, le général revient par la bande sur son idée. Sans trop insister, le Président fait savoir qu'il ne le recevra pas. A la troisième tentative il répond fermement "non" et, accompagnant le refus de ce revers de main si caractéristique, il ajoute :"passons à l'autre point de l'ordre du jour".

Le général major qui se trouvait quelques semaines plus tôt l'homme le plus puissant du pays, encaisse en militaire discipliné, le coup du Président.

Extrait du livre témoignage de Maître Ali Haroun "Le Rempart" Page 174-175-176, Editions Casbah, Collection Histoire,  301 Pages 2013.